C’était bien…

Sortir. Lever les yeux vers la lumière. Regarder frémir les marronniers en fleurs, écouter les oiseaux chanter. Se sentir vivante. Et puis passer devant toutes ces devantures fermées, croiser tous ces fantômes masqués, sentir son cœur se serrer.

Je suis vivante mais Paris ma ville est comme morte.

Mon heure de liberté conditionnelle écoulée, je remonte les escaliers. Ce sont les jolis escaliers de Montmartre, la Butte est belle même quand tout va mal. A mi-chemin des marches, une micro-terrasse, sans aucun doute l’atout charme du studio sombre et exigu qui y donne accès. Il y a là des plantes, une table de bistrot sur laquelle sont posées deux bières et un morceau de saucisson, quelques loupiottes multicolores, deux amoureux, et Bourvil qui chante doucement Le Petit Bal Perdu. Ils ont 20 ans en 2020, et dansent, dans les bras l’un de l’autre, sur cette chanson qui parle d’eux, de notre bal perdu, et de ce qui reste debout au milieu des gravats.

La guerre encore, toujours, partout

Quand j’ai récupéré mon fils ce matin là, l’ennemi avait déjà gagné du terrain. Je le savais, chaque minute qui passait voyait la vermine progresser, menée par de jeunes officiers assoiffés de sang.

J’ai alors rassemblé mes forces et mes troupes. Nous avons à notre tour été sans pitié, ratissant le moindre cm2. Nous agissions avec méthode et détermination, ne laissant aucune chance à ceux que nous faisions prisonniers : d’abord l’électrocution – notre cher Président ayant considérablement augmenté le budget de la Défense, nous disposions d’engins issus de la plus haute technologie – puis la noyade. Au bout de quelques heures, des centaines de cadavres flottaient à la surface de réservoir qui jouxtait le champ de bataille.

Nous étions épuisés, mais galvanisés par la victoire qui, rougeoyante, se profilait à l’horizon. De glorieux chants de guerre emplirent nos poumons lorsque la dernière des vermines fut écrasée.

Fourbus mais rayonnants, nous bivouaquâmes non loin de notre cimetière aquatique. Ivres de joie, nous trinquions à l’avenir, aux galons des uns, aux médailles des autres, quand soudain se dressèrent devant nous quelques silhouettes, pâles et terrifiantes. Ah les enflures, ah les raclures… Jusqu’alors dissimulées sous les herbes hautes et drues, elle s’apprêtaient à nous occire.

Nous avions tout donné, les forces désormais nous manquaient pour le corps à corps final qui finirait, à n’en pas douter, par nous anéantir. Je n’avais plus le choix. Je m’emparai de la tondeuse, et appuyai sur le bouton rouge. Vermines et herbe hautes volèrent en tous sens. Ce fut un carnage, que je ne pus maîtriser. Voilà pourquoi je ne m’étais jamais résolue, lors de mes faits d’arme précédents, à faire usage de l’Arme Ultime. Je savais que les dommages collatéraux seraient terribles. Mais quelque chose, cette fois, avait cédé en moi. J’avais pété les plombs.

A présent mon fils ressemble à une tondue d’après-guerre et moi je chiale-ris nerveusement.

Et le pire, c’est que je crois que la vermine a réussi à ramper jusqu’à moi. Elle est sur ma tête, elle est dans ma tête, CONFINEZ-MOI!!!

 

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La fleur au fusil

Nous étions pleines d’allant quand tout a commencé (oui à présent nous sommes plusieurs, moi-même confinée dans mon 42m2, et toutes les autres confinées dans ma tête). Force ! Courage ! Patience ! Nous allions le tenir comme des battantes, ce siège. Nous allions « lire, écrire, ranger, méditer, abdos-fessiers ».

Cinq jours ont passé, et seule celle qui était chargée de nous faire revenir à la sécularité super-galbées s’est un peu bougée (sauf le jour où elle a passé la journée à se traîner, et celui où elle a enchaîné trois pauvres chien-tête-en-bas et deux guerrier-numéro-2 devant son écran illuminé).

Oh, on n’a pas ABSOLUMENT rien fichu non plus…

On a écouté Tich Nacht Han nous dire sous la douche des choses fortes comme « Nous marchons tous sur la Terre, mais certains marchent en esclaves » dans Soyez libre à où vous êtes, et on a été emballées. On a donc essayé de se sentir libres, grâce à l’arme atomique du grand maître vietnamien qu’est la pleine conscience, en mastiquant consciencieusement notre quinoa & curry (oui, scandale ! provocation ! hérésie ! Que voulez-vous il n’y avait plus de basmati…). On a essayé oui, mais ça n’a pas très bien fonctionné.

Sous la douche on a aussi chanté-beuglé-pleuré.

On a tenté de travailler et on a échoué.

On a médité. Une fois.

On s’est mis du rouge aux pieds, ce qu’on ne fait jamais, ça a donc bien bavé de tous côtés.

On a derviche-tourné dans le salon, on a applaudi au balcon.

On a un peu ri, un peu flippé, pas mal fumé, pas mal picolé.

On a aussi beaucoup pleuré, parce qu’on est confinées mais aussi d’amour chagrinées. Ce qui fait beaucoup, même (surtout ?) pour plusieurs personnes dans une même tête.

Mais globalement, on a surtout glandé, hébétées.

On n’est pas super contentes de nous-mêmes, faut avouer.

En même temps on se dit qu’on pourrait peut-être, aussi, se foutre un peu la paix…

Jour 1 – Danser dans les rues désertées

Comme nous sommes paraît-il en temps de guerre, j’ai installé mon QG sur l’îlot central de mon 42m2 qu’est mon lit. Deux ordis – un pour le travail, un pour le reste de ma vie – deux carnets, un stylo, un livre. J’étais prête pour le siège.

J’ai télétravaillé par intermittence, passé beaucoup de temps au téléphone, passé beaucoup de temps à enregistrer les liens vers les milliers de films, de podcatsts, d’expos, de séances de yoga, de livres audio qui allaient me permettre de tenir (honnêtement, on n’aura pas assez d’une vie en confinement pour en venir à bout).

Et puis je suis allée m’agiter sur l’escalier en bas de chez moi.

(Voilà deux ans que je me plains de ne plus assez me bouger les fesses – pas le temps, trop loin, trop cher, trop contraignant. Deux ans que ce chouette escalier m’attendait en bas de chez moi…).

Il y avait du bleu au-dessus de ma tête, il y avait des fleurs et elles sentaient bon, je me suis sentie heureuse, à nouveau.

Et puis j’ai dansé dans la rue désertée – tout est tellement bizarre en ce moment, un peu de folie en plus ou en moins… Je crois que j’ai diverti à un couple au loin à son balcon – si vous voyez la vidéo d’une folle en train de danser seule dans une rue désertée, vous saurez.

J’ai entendu les oiseaux s’exciter parce que le soleil se couchait, j’ai vu les lampadaires clignoter, et je me suis imaginé que Paris essayait de me parler. En morse, ça donnait quelque chose comme fluctuat nec mergitur, je crois.

C’était doux, c’était bon.

Je suis rentrée, et j’ai continué à danser.

Je voudrais dire à notre Président que quoi qu’il arrive il ne faudra pas nous empêcher d’aller suer sur des escaliers ni danser dans des rues désertées. On ira seuls, promis. On s’écartera même du chien du voisin, juré. On se récurera à l’alcool à 90°C après, craché (heu non, pas celui-là).

Mais ça, faudra nous le laisser. Sans quoi après risquera d’y avoir pénurie de lits en HP.

Ce que m’a déjà appris Coco

J’ai commencé par m’effondrer, pleurer, deux ou trois jours d’affilée. On allait être confinés et je serais seule. Seule sans bras protecteurs dans lesquels m’oublier, oublier. Seule sans amis, sans amants, sans emmerdes pour me divertir du grand Vide avec un grand V. Seule loin du bitume et de ses pousses rebelles, loin des terrasses et de leur babil, loin des nuits où l’on danse jusqu’à ce que meure la nuit.

Et puis quand mes yeux ont fini par s’assécher, j’ai compris. J’ai enfin compris ce truc dont les sages me rebattent les oreilles à longueur de maximes et de sonnets depuis des années. Accepter. Accepter ce qui est.

J’ai compris que plus je refuserais d’accepter, plus je souffrirais.

Ai-je vraiment le choix ?

Bah non. Parce qu’il n’y a pas que moi, là. Parce que les plus fragiles et ceux qui les soignent, qui nous soignent, parce nous tous, nous toutes, qui faisons un.

Et donc quel jeu me reste-t-il donc entre les mains?

Carte numéro 1 : je suis confinée avec moi-même et je me noie dans mes propres larmes.

Carte numéro 2 : je suis confinée avec moi-même et je fais face, je me fais face. Je me recentre, et j’attaque façon warrior tout ce que j’ai laissé de côté depuis trop longtemps : lire, écrire, ranger, méditer, abdos-fessiers.

Option numéro 1 : rien à gagner

Option numéro 2 : rien à perdre, et qui sait, tout à gagner, y compris le  fessier de Beyoncé. (Écoutez, il faut voir des objectifs dans la vie).

Alors voilà, au temps du corona ça sera «  À nous deux, Asha! ».

And remember, my friends : The only way out is through. Ceci sera ma devise… jusqu’à ce que j’oublie et que je me remette à geindre. Eh oui, tout est cyclique dans la vie, mes états d’âme et les vôtres aussi (ouh là là là là encore un grand accès de sagesse, on ne l’arrête pluuus!).