J’aime

J’aime les gens qui dansent dans le métro

Qui chantent dans les couloirs

Les gens qui s’habillent bizarrement

Les poètes de l’instant.

 

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Et aussi ceux qui dansent en short rose fluo

 

Pourquoi je danse

                                                                                photos Tom Sanslaville

 

Je danse parce que c’est ainsi que je me sens en vie, et seuls ceux qui m’ont vue danser savent qui je suis.

Voilà plus de trois ans que je danse libre. J’ai hâte de pouvoir écrire : « Voilà plus de trois ans que je danse, libre ». Ca viendra, je suis en chemin. La danse, c’est ma liberté, mais aussi le plus bel itinéraire que j’aie trouvé pour y accéder, à cette liberté. Chemin faisant, chemin dansant, je me libère.

Danser qui l’on est… Briser ses propres chaînes, vaincre ses peurs, arrêter un instant de se juger. Et puis rire, et puis pleurer, bondir et virevolter.

Rencontrer des êtres dansants, échanger de corps à corps, de corps à cœur, de cœur à cœur. Avoir le sentiment d’avoir trouvé une seconde famille, un endroit où se réfugier quand le chaos règne intérieur extérieur.

Je ne remercierai jamais assez ma très chère Garance, qui en me faisant découvrir la danse libre m’a offert le plus beau des cadeaux. Aujourd’hui c’est elle qui, tous les mardis, m’enseigne la liberté.

Je ne remercierai jamais assez Lucie, chez qui j’ai esquissé mes premiers pas, et pris petit à petit l’assurance dont j’avais besoin pour danser sur autre chose que du boum-boum.

Je ne remercierai jamais assez ma jolie Marie, qui a pensé et porté Dansez-vous, ce projet qui sait dire mieux que moi pourquoi je danse, et pourquoi ce serait tellement bien qu’on s’y mette tous.

Ce projet, auquel je suis tellement fière d’avoir participé, c’est d’abord un film  réalisé par Tom Sanslaville et produit par Matthieu Bertrand, sur un son de Mr. Viktor qui m’obsède depuis maintenant plusieurs mois.

C’est aussi un très beau livre dans lequel Eugénie Garcia fait danser les photos et les textes (textes libres, haikus, témoignages, interview, analyse…). Onze personnes (dont bibi) y racontent, chacune à sa façon, la force et la beauté de la danse, le lâcher prise qu’elle nécessite et fait advenir tout à la fois. C’est un très beau cadeau de Noël (moi-même je sais) et si l’envie vous prend de passer commande avant mardi 14h, il atterrira sous le sapin en temps et en heure.

Et puis Dansez-vous ce sont aussi de jolies photos que vous pouvez voir chez Cozette (20 avenue de Saint-Ouen, dans le 18e) jusqu’à mi-janvier.

Enfin, n’hésitez pas à suivre le projet sur Facebook et Instagram pour être tenus au courant des mises à jour du site qui est appelé à être enrichi.

Alors, on danse ?

Saloperies de feuilles mortes

Il fut un temps où il faisait beau, je m’en souviens encore. Le soleil brillait, il faisait doux, il faisait bon. Dans la rue les yeux des gens me souriaient. Je pleurais oui, il semblerait que mes joues aient  besoin d’être irriguées quelle que soit la saison, mais il s’agissait alors de larmes au goût de miel qui coulaient quand, passant du souterrain à l’aérien, le métro me révélait par ses fenêtres entrouvertes la vibration particulière des ciels d’été, le frémissement des feuilles de peuplier. « Profite-en, je me disais, ça ne va pas durer ».

Je profitais, donc. Je dansais et je riais, et le temps passait. Les premières feuilles mortes assombrissaient par endroits le vert éclatant du gazon que foulait allègrement ma tribu de cœur, celle des danseurs à ciel ouvert. Qu’importe. Toute à mon ivresse, j’ignorais ces feuilles de mauvais augure. Quand j’y repense, c’est sans doute à ce moment que tout a basculé. J’aurais dû rentrer, m’assurer que j’avais ce qu’il fallait chez moi : des bottes (des bottes, bon sang !), un parapluie, des vêtements chauds… Mais j’ai  continué à virevolter, pieds nus, incapable de m’arrêter.

img_4287A présent me voici transie sous la pluie. Elle coule du ciel et de mes yeux, et semble ne plus vouloir cesser. Je marche en essayant d’éviter les flaques mais j’ai les pieds et le cœur trempés. Ce qui en terme d’humidité n’est pas si mal, quand je repense à cette fois où je suis tombée dans un étang glacé. Œsophage, trachée, l’eau s’est lentement infiltrée, cage thoracique inondée, sur le point d’imploser, boyaux submergés. Point de suspense ici, si j’écris c’est que je m’en suis sortie, mais j’ai compris, ce jour là, la force de cette douleur qui en envoie plus d’un par le fond.

Depuis, chaque jour est consacré à essayer de surnager. Les yeux rivés à l’horizon, j’attends de pouvoir à nouveau fouler la terre ferme. Oh, je ne m’ennuie pas, loin de là. Mon cerveau me tient compagnie, il a de la conversation le bougre. On parle de tout un tas de choses… De vie, d’amour, de mort. De responsabilité, des prisons que l’on se crée, de liberté. Des principes de plaisir et de réalité. De samskaras, de samsara, de nirvana. De courage, de peur, de lâcheté. De dépendance, d’attachement, de non attachement. De la différence entre l’acceptation et la résignation. Du bien-fondé de l’action, ou pas. Des erreurs, et de leurs conséquences…

Je l’aime bien mon cerveau, il sait manier les concepts, mais je le soupçonne de ne pas vouloir que mon bien. Cette habitude qu’il a depuis quelques temps de me tenir éveillée jusqu’aux premières non-lueurs de l’aube automnale par exemple… Ou de me réveiller toutes les heures, certaines nuits, avec la précision et la régularité d’une horloge suisse. Je me demande parfois si lui et moi ne sommes pas entrés dans une relation sado-maso, il semble prendre plaisir à me voir souffrir. Et moi, se pourrait-il que j’aime cette souffrance, se pourrait-il que je m’y complaise ? L’hypothèse me soulève le cœur, il va falloir que j’y réfléchisse davantage. Que j’y réfléchisse ? Mais alors mon cerveau va encore me vider de toute mon énergie, cette énergie dont j’ai besoin pour réussir à surnager. Que faire pour qu’il se taise ? Méditer. J’essaie un peu tous les jours, parfois ça marche, et parfois pas. Alors je cherche autre chose pour réussir à me libérer – au moins pour quelques instants – de ce compagnon un peu trop collant.

J’ai trouvé deux-trois trucs que je te livre comme ça… On ne sait jamais, s’il t’ arrivait toi aussi de dériver en ce magnifique mois de novembre riche en réjouissantes nouvelles.

Les selfies. Mais oui ! L’ennemie jurée des selfies a enfin trouvé une utilité à cette étrange pratique contemporaine. Tu déprimes, tu ne peux plus t’arrêter de pleurer? Prends ton téléphone et prends un selfie. Regarde-le, ça fait un autre effet que de se voir dans un miroir, je te jure. Regarde-le, regarde-toi, vois cette mine défraîchie, ces yeux bouffis. Soudain tu sors de ton cœur, tu sors de ton corps, tu te souviens que tu es un être humain parmi des milliards qui s’affairent, qui pleurent, qui rient, qui meurent sur cette minuscule planète perdue dans l’univers. Et tu souris. A peine, mais quand même.

Les parisiennes à vélo. Je parle des parisiennes parce que je ne connais que ça, ça marche sans doute avec les rennaises et les niçoises hein. Sors. Marche. Observe les gens, chope leur regard. Déjà tu te sentiras un peu moins seul(e). Et puis une parisienne à vélo finira par passer, et tu te souviendras que la vie peut etre belle.

La danse. Je parle de danse parce que je ne connais que ça. Mais n’importe quel sport fera l’affaire, en fait. Sollicite et nourris d’autres muscles que celui qui se cache dans ta boite crânienne. Tu vas produire des hormones qui te feront du bien. #TousDrogués.

La famille, les amis. Ok, toute musique te fait chialer, ok, tu te fiches de ce qu’il y a dans ton assiette, mais arrange toi pour retrouver ceux que tu aimes et qui t’aiment pour un verre, un thé, n’importe quoi. Leur présence, leur écoute, leurs rires t’aideront à te sentir plus léger(e). #LoveIsTheAnswer.

La sagesse des grands sages. Tu n’es ni le premier ni la dernière à traverser une période de merde. Tu sais ce que dit le grand sage, qui a dû en voir (et en bouffer) des vertes et des pas mûres ? This too shall pass. Ca non plus, ça ne va pas durer.

Laissez-moi danser

Regarde-moi. J’ai 9 ans, je suis en vacances dans un luxueux hôtel de l’Océan Indien. Le dîner est terminé, le spectacle des Gentils Animateurs aussi, la piste de danse s’illumine, mes yeux aussi, mais très vite la musique qui fait battre mon cœur et me donne envie de danser comme le font les grands n’est plus qu’un lointain écho. On rentre. Le ton de la voix de mon père est sans appel, la piste de danse n’est pas un endroit pour les enfants. Je me glisse sous les draps empesés de mon lit en bois précieux comme on entrerait dans un cercueil. J’ai 9 ans et j’enrage, j’ai 9 ans et je pleure parce que je ne peux pas danser.

Regarde-moi. Je dois avoir 12 ou 13 ans. On est une tripotée de cousins et cousines dont je suis l’aînée, dans un célèbre et un peu cheap centre de vacances solognot. Le jour on s’ébat dans des vagues artificielles, on pédale à toute allure, on se défie au bowling. Et le soir… Le soir on chuchote, on complote, on élabore des stratégies de sioux pour réussir à sortir sans se faire griller par les parents, les oncles et les tantes : je fais faire le mur à mes poussins de cousins, parce qu’il est impensable qu’on n’aille pas danser sous la grande bulle de verre.

Regarde-moi. J’ai 13 ans, peut-être 14, des lunettes et des notes de première de la classe, mais des copines qui portent des dock martens, écoutent les Berurier Noirs, goûtent à leur premières bières et à leurs premières menthols au parc à côté du collège. Je suis invitées aux boums d’après-midi, j’y vais une fois, deux fois, et j’adore ça, même si le moment des slows est toujours compliqué. C’est que je fais une tête de plus que tous les garçons présents, alors forcément… Et puis je ne sais pas trop pourquoi, ma mère me dit que non, que je ne vais pas me rendre à cette troisième invitation parce que ça fait trop d’affilée, et qu’on va plutôt aller à la mosquée. Je fais ma première crise et c’est décidé, je vais désormais détester aller à la mosquée.

Regarde-moi. J’ai 17 ans, je suis assise sur la couverture en crochet mon lit. La chambre dont j’ai hérité est rose. Mais comme on est à « Tana », où l’insécurité sévit déjà, la fenêtre a des barreaux. Roses, les barreaux. Il y a cette fête, où sont tous mes amis, et où je n’ai pas le droit d’aller. Parce que je suis indienne et musulmane et chiite et que dans ma communauté ça ne se fait pas, les filles ne sortent pas. Des tas d’idées me traversent l’esprit. Je pourrais me trancher les veines, ça ferait sans doute moins mal que ce putain de sentiment d’injustice qui me bouffe le ventre. Je pourrais me raser la tête, ça ferait bien chier tout le monde, ma famille bien sûr, mais aussi tous ces hypocrites pro-voile qui donnent le la dans ma « communauté » tout en couchant à droite à gauche alors que la seule chose ce que je demande, moi, c’est d’avoir le droit de danser et de rouler quelques pelles. Alors je mets Goran Bregovic à fond les ballons et je m’enfile la bouteille de gin que j’ai trouvée à la cuisine. Entière.

Regarde-moi. J’ai 20 ans. Je suis en Khâgne, mais je ne travaille pas. Je passe ma semaine dans un état semi-dépressif, demandant à mes voisins de me réveiller une heure avant la fin des colles pour ne pas – tout de même – rendre feuille blanche à mes chers professeurs. Toute mon énergie est tendue vers un seul but : ma sortie du vendredi soir, celle où je danse de minuit à 9 heures du matin avec pour seul carburant la conso comprise dans le prix de l’entrée.

Regarde-moi. J’ai 31 ans, je me promène sur le Pont des Arts avec une petite chose de 5 mois dans le ventre. C’est l’été, des groupes d’ados font ce que font les ados l’été : ils s’agglutinent autour de leur pote qui joue de la gratte et chantent. Et bien qu’assis par terre, ils dansent. Et moi je pleure toutes les eaux de mon corps parce que je me dis que je n’aurai jamais été une de ces ados-là.

Regarde-moi. Je fête mes 36 ans et je raconte à mes amis effarés ce qui m’est apparu comme le plus beau moment de ma vie : 2h du matin dans l’hiver parisien, une énorme fanfare improvisée à Ménilmontant, et les passants qui s’arrêtent et se mettent à danser, on est 40 on est 50 on est 100 on a l’impression d’être des milliers, et tout le monde sourit, et les mecs même bourrés laissent les nanas tranquilles, c’est une ode à la vie, ouais il y a eu le 7 janvier, ouais il y a eu le 13 novembre mais vous savez quoi, on a pas peur, et on apporte la lumière même là où la nuit est la plus obscure et on vous emmerde vous les semeurs de mort. Je danse, seule et entourée d’amis inconnus, jusqu’à 3h et demie. J’ai 36 ans et le plus beau moment de ma vie est une fête dans les rues de Paris.

Regarde-moi. J’ai 37 ans et tout ce que je veux c’est que l’air soit doux, qu’il y ait des des loupiottes et des lampions, et qu’on danse en saluant le soleil couchant. Oh je t’assure, je ne demande pas grand chose, je n’aime pas les paupières dilatées du petit matin mais je ne veux pas me coucher tôt non plus, tu sais comme ça me fait pleurer.

Laissez-moi danser

copyright Tom Sanslaville

Ecoute-moi, c’est ainsi que je veux mourir, un jour. J’aurai 85 ans, le soleil réchauffera mes vieux os et la musique mon vieux cœur. Je danserai doucement, ça sentira l’herbe et la fleur d’oranger, je boirai une ou deux gorgées de bière très fraîche (blanche, la bière) et puis j’irai m’asseoir sur un banc. Je poserai ma tête contre le creux de mon bras après avoir repoussé tous mes bracelets tintinnabulants, je fermerai les yeux et mon âme continuera à danser doucement pour moi, jusqu’au ciel cette fois. Et cette âme n’aura pas 85 ans, elle en aura 9.

Tu es encore là ? Alors écoute-moi, une dernière fois. N’empêche jamais qui que ce soit d’aller danser. Tu me le promets ?

 

Garance ou la vie au bout du pinceau

La femme en fleur

La femme en fleur

Il est des noms qui semblent clairement vouloir vous mener vers un chemin de vie plutôt qu’un autre. C’est le cas de Garance, dont le prénom est celui d’une plante, et de la couleur qui en provient. Un rouge profond et doux à la fois.

Or Garance vit, ressent, rêve et danse en couleurs. Du coup Garance peint, elle en a fait son métier. Un métier qu’elle exerce à la campagne, au milieu des fleurs.

Je la connais depuis maintenant plus de 17 ans, autant dire un record amical du genre à pouvoir figurer dans mon Guiness book of records perso. Pourtant, si tout au long de ces années nous avons beaucoup échangé autour de son art, des tas de questions restaient en suspens, que je n’avais jamais vraiment osé lui poser : comment ça fonctionne, un(e) artiste ? Est-ce que la créativité est un truc qu’on te refile au berceau, façon Belle au Bois Dormant ? Est-ce que l’inspiration permet de pondre des tableaux avec la régularité d’une poule aux œufs d’or, ou l’artiste connaît-il/elle l’angoisse de la toile blanche ?

Hé bien j’ai fini par oser et voilà ce que j’ai appris de la Belle au Bois Vivant (ok, je sors).

 Poisson rouge contre éléphant

Contrairement à la plupart d’entre nous, Garance a des tas de souvenirs de son enfance et même de sa petite enfance. Certains d’entre eux sont carrément des souvenirs de rêves, d’autres remontent à la période où elle gazouillait et babillait, mais ne parlait pas encore. Je trouve ça génial, moi qui ne me souviens même plus de l’avant-dernier livre que j’ai lu, du film que j’ai maté il y a deux semaines, ni même de certains épisodes de ma vie. Heureusement, Garance est là pour me les rappeler ! Mais apparemment c’est pas toujours hyper drôle d’avoir une mémoire d’éléphant. Elle dit : « J’aurais préféré oublier davantage de choses ».

 L’enfance de l’art

Son premier souvenir lié à la peinture remonte à ses 4 ans : « C’était à l’école, je me rappelle très précisément avoir peint un hibou : j’ai choisi les couleurs avec soin, je me suis appliquée à dessiner le contour des plumes, j’étais à fond ! ».

Autre souvenir : « Je devais avoir 7-8 ans, j’avais vraiment envie de peindre, tout le matériel à porter de main et une après midi devant moi mais j’étais désespérée parce que je ne savais pas QUOI peindre, et personne ne m’aidait à trouver. J’en ai pleuré de désespoir ». Bah la voilà, l’angoisse de la toile blanche ! Enfin, apparemment ça a été la seule et unique fois où Garance a vécu ce qui me mine depuis des années face à mon écran si souvent désespérément blanc : « Non, je ne connais pas cet état, enfonce-t-elle, complètement innocemment en plus, la garce ! Si je bloque, je mets de côté la toile en cours et j’en commence une autre. C’est le début d’un voyage, d’une aventure, donc ça jaillit, ça explose ! Du coup je peins plusieurs toiles à la fois, c’est une façon de procéder qui fonctionne bien pour moi ». Bon sang mais c’est bien sûr ! Voilà ce qu’il faut que je fasse ! Ecrire 3 nouvelles et 4 articles en même temps ! Je vous tiens au courant hein…

 Mais pourquoi donc ?

Garance peint pour le plaisir de peindre, ça lui fait du bien, un point c’est tout. Même un mur blanc tout couillon fait son bonheur. Vous lui mettez un pinceau entre les mains et hop, la voilà partie. D’ailleurs, ils sont plus d’un à avoir accueilli dans leur nouveau chez eux une peintre en salopette mouchetée de couleurs, version jeune et jolie de Punky Brewster…

Attention pourtant : cette sérénité va au-delà de celle que peut vous apporter le fait de jardiner, de cuisiner ou de faire la vaisselle (si si, lisez Thich Nhat Hanh, vous verrez). Chez Garance, la peinture a à voir avec la survie psychique « A un moment de ma vie, j’ai perdu le fil relationnel, avec moi-même comme avec les autres. La peinture m’a permis de garder les pieds sur terre, raconte-t-elle ». Ca me fait penser à Clooney dérivant dans l’espace de Gravity, c’est vrai que c’est flippant, merci la peinture !

Comment ça marche

Elle dit : « Quand j’ai commencé à créer pour de bon, je ne réfléchissais pas vraiment à ce que j’allais peindre. J’avais des éléments épars qui me venaient et je les mettais en scène les uns avec les autres. Une fois que j’avais terminé, je me rendais compte que j’avais raconté une histoire qui correspondait à ce que je vivais au plus profond de moi à ce moment-là de ma vie. Aujourd’hui je suis plus « consciente », je sais mieux de quoi je parle, ce que j’exprime, mais le processus est resté le même. Des images s’imposent à moi quand je rêve, quand je danse, quand je médite : l’inspiration vient de l’intérieur. Une fois que je suis devant mon chevalet, je lâche le mental. J’entre alors dans une sorte d’état méditatif et je laisse mon pinceau danser sur la toile ». Pour comprendre comment « ça » marche, ajoutez à cela une perception de la couleur et de la lumière assez dinguo : « C’est comme si je voyais ou que je sentais dans chaque couleur – et dans la lumière aussi – tous les éléments qui la composent ». Bon, il est où le kaléidoscope de mon fils ?

 Routine or not routine ?

Garance peint ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent (du coup je cogite pas mal à chaque fois qu’elle me montre une de ses nouvelles toiles, c’est comme une énigme à résoudre). Alors forcément, chaque jour est un jour nouveau. Ce qui est certain, c’est que la musique a une grande importance dans le processus, qu’il s’agisse du chant des oiseaux ou d’un morceau, d’un album qu’elle est capable d’écouter en boucle pendant des semaines, voire des mois : « La musique maintient l’énergie de mon ressenti en vie. Elle m’aide à replonger dans des émotions que j’ai pu ressentir plusieurs mois plus tôt ». Un peu comme moi quand j’écoute « Don’t speak » de No Doubt et que je me remémore un des mes (nombreux) chagrins d’amour, en somme. Sauf que moi j’en fais pas grand-chose, à part me dire « bon sang, quel kif de ne plus avoir 18 ans ! ».

L’inspiration

« Ce qui m’inspire c’est ma relation à moi, qui est inévitablement influencée par le monde extérieur, m’explique ma cops. Me prendre comme sujet et être obligée de me regarder attentivement, comme un objet d’étude, essayer de déterminer ce qui fait mon essence… C’est une forme de rencontre avec moi-même ». En effet, Garance se met en scène dans ses toiles. Tandis que certaines restent pour moi très mystérieuses, avec quelque chose d’opaque qui me pousse à cogiter pendant des plombes, d’autres me parlent immédiatement, ou plutôt parlent de moi. Heu, les deux en fait. L’universalité atteinte à travers l’expression d’une subjectivité, le truc des artistes quoi.

Artiste au féminin

Je connais certains types qui fanfaronnent en affirmant que l’art est une histoire de couilles, la preuve, combien de femmes ont marqué l’histoire de l’art et blablabla et blablabla. Je leur explique calmement que c’est sûr que quand la société vous cantonne à l’univers clos du foyer, avec cinq gosses dont il faut s’occuper, sans compter la lessive (à la main jusqu’au XXe siècle tudieu !), les courses, la cuisine et le ménage, ça laisse peu de temps et d’espace à la créativité. Et puis après j’arrête face à leur évidente mauvaise foi, parce qu’au fond je sens qu’ils ont simplement peur de perdre leur pré carré. Garance confirme : «  Quand j’avais 20 ans, que je n’étais pas encore solide, j’ai eu droit à des remarques charmantes du style « c’est pas un métier pour une femme », particulièrement de la part d’ artistes masculins autour de la cinquantaine ». Le genre de petite phrase assassine susceptible d’en décourager plus d’une … mais pas Garance! « J’ai rapidement eu la certitude que la peinture était ma vie et qu’il n’était pas question pour moi de prendre une autre voie, se souvient-elle. J’ai donc fait en sorte d’évoluer dans un cercle relationnel où les gens ne disent pas ce genre de choses». Elle est cool Garance. Moi j’aurais dit « ce genre de grosse connerie de merde » !

La danse et la peinture

Je vais au même cours de danse que Garance. Et je crois bien que c’est la meilleure danseuse que je connaisse. Son expressivité à couper le souffle est servie par un corps souple et puissant la fois qui tisse en tournoyant le lien entre son moi profond – avec lequel elle est connectée en permanence- et ses compagnons de danse, avec lesquels elle interagit avec la plus grande fluidité. Bref. Quand elle m’a raconté ce qui suit, j’ai mieux compris pourquoi son corps en mouvement me fascinait tant : « Quand je danse, mes sensations physiques se traduisent en images. Je peins en ce moment une femme piano qui est née d’un de ces moments : j’étais tellement prise par ma danse que j’avais l’impression que chaque partie de mon corps était une touche, noire ou blanche, et que c’était moi qui produisais cette musique sur laquelle nous dansions tous ». Le genre de truc qui n’arrive que sous acide quoi… Il faut croire que le cerveau de Garance est un laboratoire clandé, j’achèterais bien sa came mais malheureusement la science n’a pas encore suffisamment avancé pour me permettre d’expérimenter ce kif garanti sans bad-trip ni descente hardcore. En attendant je me console en tripant devant ses toiles.
Et si vous voulez faire de même, ça se passe ici !