Au chauffeur inconnu

Retour des vacances de la Toussaint. De la gare d’Austerlitz à la place de Clichy Paris n’était que désolation. 

C’était un taxi et non un Uber, alors je ne connaissais pas son nom. Lui non plus ne connaissait pas le mien d’ailleurs, c’est pas mal aussi, la vie sans appli, ça remet un peu de mystère là où il n’y en a plus.  

Quand j’ai embarqué, le taximan qui attendait derrière lui dans la file a applaudi. Avec le narcissisme qui me caractérise (poke Nicolas L-B), je me suis dit qu’il félicitait son collègue et concurrent pour avoir embarqué une charmante jeune femme (si si) à l’air de gitane (je suis toujours chargée comme un baudet quand je rentre de vacances, en réalité je ressemble davantage à une mendiante rom,  mais un peu d’érotomanie du quotidien ne fait de mal à personne, surtout par les temps qui courent). Ces mignonnes félicitations entre coqs roulants eussent été  possibles, mais seulement dans le monde d’avant… 

Or nous étions en octobre 2020, au premier jour du deuxième confinement.

Et puis il m’a expliqué. Qu’en neuf ans à sillonner sa ville c’était la première fois qu’il n’avait fait qu’une seule course de la journée, la mienne, donc. Voilà trois heures qu’il patientait dans cette file, à guetter le client. Son collègue le félicitait d’avoir enfin réussi à faire son métier, ce pour quoi il s’était, ce matin-là, levé. Mon ego s’est pris une pichenette, et mon coeur un uppercut. Voilà ce à quoi avaient conduit les errements néo-libéraux de ceux de là-haut. L’Hôpital qui suffoquait, les gens enfermés, les petits commerces qui crevaient, pendant qu’Amazon et Uber-Eat triomphaient. 

 Il était comme sidéré. 

 On s’est dit que monde semblait être devenu fou. 

On s’est dit que ça allait péter, parce que bientôt il n’y aurait plus de billets pleuvant,  façon feu d’artifice, pour éteindre le brasier. Parce que bientôt de plus en plus de gens allaient avoir faim. Ou froid. Ou les deux. 

 Il m’a fait rire en me racontant les couillons qui, DE NOUVEAU, avaient fait deux heures de queue pour des stocks de papier cul. « Les gens sont cons, mais cons ! », m’a-t-il dit. C’était peut-être ça, le problème ? 

Nous étions arrivés. Il m’a aidé à sortir ma valise du coffre, on s’est regardés, yeux-par-dessus-masque, et on s’est dit : « Bon courage. Prenez soin de vous ». Du fond du cœur. 

Demain les petits commerces ouvrent de nouveau, demain nos laisses prennent 20 km de mou, demain j’espère que mon chauffeur d’une nuit embarquera plein de parisiennes vraiment jolies.

Hors-la-loi

Il était posté là, entre l’étal du marchand de quatre saisons et celui du fromager. Nos regards se sont croisés. « Vous en voulez ? » ? J’ai pesé le pour et le contre, soupesé les risques et les bénéfices, tout ça en une seconde. Et j’ai acquiescé. Je n’en pouvais plus, il m’en fallait. Il m’a fait signe de le suivre, et m’a menée jusqu’à la contre-allée où il était garé. Un coup d’œil à droite, un autre à gauche, la marchandise était déballée. J’y ai plongé le nez. Du bon matos, assurément, le genre à vous faire partir en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Dieu merci j’avais du cash sur moi. Je lui ai tendu les billets, on s’est souhaité bon courage, et je suis partie, prenant l’air de celle qui n’avait rien à se reprocher.

Aujourd’hui j’ai acheté des fleurs de contrebande. Elles sont dans un vase sur ma cheminée, ça embaume l’illégalité .

Aujourd’hui j’ai désobéi.