Garance ou la vie au bout du pinceau

La femme en fleur

La femme en fleur

Il est des noms qui semblent clairement vouloir vous mener vers un chemin de vie plutôt qu’un autre. C’est le cas de Garance, dont le prénom est celui d’une plante, et de la couleur qui en provient. Un rouge profond et doux à la fois.

Or Garance vit, ressent, rêve et danse en couleurs. Du coup Garance peint, elle en a fait son métier. Un métier qu’elle exerce à la campagne, au milieu des fleurs.

Je la connais depuis maintenant plus de 17 ans, autant dire un record amical du genre à pouvoir figurer dans mon Guiness book of records perso. Pourtant, si tout au long de ces années nous avons beaucoup échangé autour de son art, des tas de questions restaient en suspens, que je n’avais jamais vraiment osé lui poser : comment ça fonctionne, un(e) artiste ? Est-ce que la créativité est un truc qu’on te refile au berceau, façon Belle au Bois Dormant ? Est-ce que l’inspiration permet de pondre des tableaux avec la régularité d’une poule aux œufs d’or, ou l’artiste connaît-il/elle l’angoisse de la toile blanche ?

Hé bien j’ai fini par oser et voilà ce que j’ai appris de la Belle au Bois Vivant (ok, je sors).

 Poisson rouge contre éléphant

Contrairement à la plupart d’entre nous, Garance a des tas de souvenirs de son enfance et même de sa petite enfance. Certains d’entre eux sont carrément des souvenirs de rêves, d’autres remontent à la période où elle gazouillait et babillait, mais ne parlait pas encore. Je trouve ça génial, moi qui ne me souviens même plus de l’avant-dernier livre que j’ai lu, du film que j’ai maté il y a deux semaines, ni même de certains épisodes de ma vie. Heureusement, Garance est là pour me les rappeler ! Mais apparemment c’est pas toujours hyper drôle d’avoir une mémoire d’éléphant. Elle dit : « J’aurais préféré oublier davantage de choses ».

 L’enfance de l’art

Son premier souvenir lié à la peinture remonte à ses 4 ans : « C’était à l’école, je me rappelle très précisément avoir peint un hibou : j’ai choisi les couleurs avec soin, je me suis appliquée à dessiner le contour des plumes, j’étais à fond ! ».

Autre souvenir : « Je devais avoir 7-8 ans, j’avais vraiment envie de peindre, tout le matériel à porter de main et une après midi devant moi mais j’étais désespérée parce que je ne savais pas QUOI peindre, et personne ne m’aidait à trouver. J’en ai pleuré de désespoir ». Bah la voilà, l’angoisse de la toile blanche ! Enfin, apparemment ça a été la seule et unique fois où Garance a vécu ce qui me mine depuis des années face à mon écran si souvent désespérément blanc : « Non, je ne connais pas cet état, enfonce-t-elle, complètement innocemment en plus, la garce ! Si je bloque, je mets de côté la toile en cours et j’en commence une autre. C’est le début d’un voyage, d’une aventure, donc ça jaillit, ça explose ! Du coup je peins plusieurs toiles à la fois, c’est une façon de procéder qui fonctionne bien pour moi ». Bon sang mais c’est bien sûr ! Voilà ce qu’il faut que je fasse ! Ecrire 3 nouvelles et 4 articles en même temps ! Je vous tiens au courant hein…

 Mais pourquoi donc ?

Garance peint pour le plaisir de peindre, ça lui fait du bien, un point c’est tout. Même un mur blanc tout couillon fait son bonheur. Vous lui mettez un pinceau entre les mains et hop, la voilà partie. D’ailleurs, ils sont plus d’un à avoir accueilli dans leur nouveau chez eux une peintre en salopette mouchetée de couleurs, version jeune et jolie de Punky Brewster…

Attention pourtant : cette sérénité va au-delà de celle que peut vous apporter le fait de jardiner, de cuisiner ou de faire la vaisselle (si si, lisez Thich Nhat Hanh, vous verrez). Chez Garance, la peinture a à voir avec la survie psychique « A un moment de ma vie, j’ai perdu le fil relationnel, avec moi-même comme avec les autres. La peinture m’a permis de garder les pieds sur terre, raconte-t-elle ». Ca me fait penser à Clooney dérivant dans l’espace de Gravity, c’est vrai que c’est flippant, merci la peinture !

Comment ça marche

Elle dit : « Quand j’ai commencé à créer pour de bon, je ne réfléchissais pas vraiment à ce que j’allais peindre. J’avais des éléments épars qui me venaient et je les mettais en scène les uns avec les autres. Une fois que j’avais terminé, je me rendais compte que j’avais raconté une histoire qui correspondait à ce que je vivais au plus profond de moi à ce moment-là de ma vie. Aujourd’hui je suis plus « consciente », je sais mieux de quoi je parle, ce que j’exprime, mais le processus est resté le même. Des images s’imposent à moi quand je rêve, quand je danse, quand je médite : l’inspiration vient de l’intérieur. Une fois que je suis devant mon chevalet, je lâche le mental. J’entre alors dans une sorte d’état méditatif et je laisse mon pinceau danser sur la toile ». Pour comprendre comment « ça » marche, ajoutez à cela une perception de la couleur et de la lumière assez dinguo : « C’est comme si je voyais ou que je sentais dans chaque couleur – et dans la lumière aussi – tous les éléments qui la composent ». Bon, il est où le kaléidoscope de mon fils ?

 Routine or not routine ?

Garance peint ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent (du coup je cogite pas mal à chaque fois qu’elle me montre une de ses nouvelles toiles, c’est comme une énigme à résoudre). Alors forcément, chaque jour est un jour nouveau. Ce qui est certain, c’est que la musique a une grande importance dans le processus, qu’il s’agisse du chant des oiseaux ou d’un morceau, d’un album qu’elle est capable d’écouter en boucle pendant des semaines, voire des mois : « La musique maintient l’énergie de mon ressenti en vie. Elle m’aide à replonger dans des émotions que j’ai pu ressentir plusieurs mois plus tôt ». Un peu comme moi quand j’écoute « Don’t speak » de No Doubt et que je me remémore un des mes (nombreux) chagrins d’amour, en somme. Sauf que moi j’en fais pas grand-chose, à part me dire « bon sang, quel kif de ne plus avoir 18 ans ! ».

L’inspiration

« Ce qui m’inspire c’est ma relation à moi, qui est inévitablement influencée par le monde extérieur, m’explique ma cops. Me prendre comme sujet et être obligée de me regarder attentivement, comme un objet d’étude, essayer de déterminer ce qui fait mon essence… C’est une forme de rencontre avec moi-même ». En effet, Garance se met en scène dans ses toiles. Tandis que certaines restent pour moi très mystérieuses, avec quelque chose d’opaque qui me pousse à cogiter pendant des plombes, d’autres me parlent immédiatement, ou plutôt parlent de moi. Heu, les deux en fait. L’universalité atteinte à travers l’expression d’une subjectivité, le truc des artistes quoi.

Artiste au féminin

Je connais certains types qui fanfaronnent en affirmant que l’art est une histoire de couilles, la preuve, combien de femmes ont marqué l’histoire de l’art et blablabla et blablabla. Je leur explique calmement que c’est sûr que quand la société vous cantonne à l’univers clos du foyer, avec cinq gosses dont il faut s’occuper, sans compter la lessive (à la main jusqu’au XXe siècle tudieu !), les courses, la cuisine et le ménage, ça laisse peu de temps et d’espace à la créativité. Et puis après j’arrête face à leur évidente mauvaise foi, parce qu’au fond je sens qu’ils ont simplement peur de perdre leur pré carré. Garance confirme : «  Quand j’avais 20 ans, que je n’étais pas encore solide, j’ai eu droit à des remarques charmantes du style « c’est pas un métier pour une femme », particulièrement de la part d’ artistes masculins autour de la cinquantaine ». Le genre de petite phrase assassine susceptible d’en décourager plus d’une … mais pas Garance! « J’ai rapidement eu la certitude que la peinture était ma vie et qu’il n’était pas question pour moi de prendre une autre voie, se souvient-elle. J’ai donc fait en sorte d’évoluer dans un cercle relationnel où les gens ne disent pas ce genre de choses». Elle est cool Garance. Moi j’aurais dit « ce genre de grosse connerie de merde » !

La danse et la peinture

Je vais au même cours de danse que Garance. Et je crois bien que c’est la meilleure danseuse que je connaisse. Son expressivité à couper le souffle est servie par un corps souple et puissant la fois qui tisse en tournoyant le lien entre son moi profond – avec lequel elle est connectée en permanence- et ses compagnons de danse, avec lesquels elle interagit avec la plus grande fluidité. Bref. Quand elle m’a raconté ce qui suit, j’ai mieux compris pourquoi son corps en mouvement me fascinait tant : « Quand je danse, mes sensations physiques se traduisent en images. Je peins en ce moment une femme piano qui est née d’un de ces moments : j’étais tellement prise par ma danse que j’avais l’impression que chaque partie de mon corps était une touche, noire ou blanche, et que c’était moi qui produisais cette musique sur laquelle nous dansions tous ». Le genre de truc qui n’arrive que sous acide quoi… Il faut croire que le cerveau de Garance est un laboratoire clandé, j’achèterais bien sa came mais malheureusement la science n’a pas encore suffisamment avancé pour me permettre d’expérimenter ce kif garanti sans bad-trip ni descente hardcore. En attendant je me console en tripant devant ses toiles.
Et si vous voulez faire de même, ça se passe ici !