Le club des poètes

Ici, chaque soir, on commande au choix une saucisse-lentilles, un bourguignon-purée ou une tarte aux légumes dont la pâte est rarement assez cuite. On y boit de la bière et du vin, toujours le même. Ici on nourrit son âme avant tout autre chose.

A quelques centaines de mètres de l’Hémicycle, dans une bulle spatio-temporelle dont les poutres apparentes sont envahies de toiles d’araignées, siège une assemblée tout à fait particulière.

On y arrive tôt sous peine de devoir rester debout à l’entrée, on s’y retrouve à table avec des inconnus : « C’est votre première fois ? ».

Son éternel béret vissé sur la crâne, Blaise accueille, serre des mains, prend les commandes, secondé par ses plus fidèles. On y dîne, donc, puis les lumières s’éteignent tandis que s’allument les bougies. Le silence se fait, quelqu’un toque à la porte, Blaise après un coup d’œil irrité à l’œilleton laisse entrer un retardataire qui, penaud, se faufile jusqu’à la première chaise à sa portée.

Et soudain, tout commence. Le monde, sa création, Dieu, l’enfance, l’amour, les combats, les peines, les fleurs fanées, la mort y défilent au rythme des vers de Desnos, Hugo, Baudelaire, Louise Labbé, et Jean-Pierre Rosnay – le père de Blaise et fondateur de ce lieu de poésie, et bien d’autres encore.

Ceux qui les disent, ces vers, sont de tous âges et de tous horizons. Intellectuels, gens d’argent, étudiants, on s’y mélange comme en peu de lieux parisiens, mais ce qu’on ne peut manquer d’y remarquer, c’est cette jeunesse façon nouvelle vague,  filles et garçons suspendus à des pages plutôt qu’à des écrans, qui se suivent sur scène, s’élèvent, s’embrasent.

Maître à scander, Blaise de sa main rythme leurs envolées.

Une pause d’une quinzaine de minutes ponctue les sessions, chacun alors se secoue pour sortie de l’état d’hypnose dans lequel il avait été plongé. On va prendre l’air, se remettre de ses émotions, avant de replonger dans la transe.

Et puis on en repart, soulagé, plus léger, sonné mais libéré, de nouveau en paix avec l’humanité. Car l’on sait, désormais, qu’en certains lieux on peut goûter à la beauté du monde grâce à la pureté des mots. 

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