Prisonnière de l’instant

Nous avons tous entendu ces phrases qui nous poussent à la sagesse, nous savons tous que le passé n’est plus, que le futur n’est pas encore, et que par conséquent la seule temporalité dans laquelle nous pouvons et devons nous plonger est le présent. Vivre, ici et maintenant, cesser de ruminer, cesser de s’angoisser.

Prédisposion naturelle ou fruit de mes apprentissages ? Je ne sais pas trop d’où m’est venue cette capacité, mais l’instant présent, je peux vous dire que je maîtrise. Enfin, je maîtrisais, jusqu’à ce putain de virus qui enterre un peu plus chaque jour tout ce qui me tient : le lien. Je vous parle du lien que l’on ressent à travers la présence d’un être humain en chair et en os debout devant soi, tout sourire. Celui que l’on ressent à travers les grands éclats de rire exempts de la crainte d’asperger son voisin d’aérosols assassins. Celui des accolades, celui des embrassades, celui des chuchotements, celui des rapprochements.

Je maîtrisais, disais-je. Mais l’instant, j’en suis désormais devenue prisonnière. A présent sous mes yeux éberlués, nous sommes tous masqués, éloignés. Le quotidien ce sont les copains qui me disent qu’ils vont s’en aller, au vert. Le quotidien ce sont les articles qui m’expliquent que seuls les liens les plus serrés pourront perdurer. Dans cet article intitulé « Le coronavirus prépare-t-il la revanche des campagnes » de l’Institut sapiens, je lis ceci : « Demain, il se pourrait bien que l’on achète plutôt le privilège d’être éloigné des autres. Nous chercherons à minimiser les contacts avec les gens qui n’appartiennent pas à nos cercles familiaux ou amicaux proches. La distance à autrui deviendra un nouveau paramètre essentiel dans nos choix de vie. Outre le prix des jardins en ville, nous pourrions voir monter de façon inédite la valeur de ces communautés humaines à taille réduite que sont les villages et des habitations isolées. La campagne, en un mot, retrouverait durablement le lustre qu’elle a gagné en ce temps de confinement. Faudrait-il s’en étonner? Sur une terre sans cesse plus peuplée, il était fatal que la tranquillité et l’éloignement du reste des humains finisse par devenir un trésor recherché*».

L’éloignement du reste des humains, c’est cela, notre nouvelle promesse d’aube?

Le voilà le présent à venir, et il me glace le cœur. Sans doute cela va-t-il fonctionner pour toutes ces cellules familiales familiales qui semblent réussir à tenir en autosuffisance intellectuelle et affective, je les envie. Mais je fais partie de ces gens qu’une interaction entre citadins, qu’un moment de grâce dans le métro, nourrit jusqu’au lendemain. C’est vous dire si le présent m’est douloureux, en ce moment.

Alors je plonge dans l’instant.

L’instant c’est la danse, ces quelques heures où je prends ma DOSE (dopamine, ocytocine, sérotonine, endorphine). L’instant c’est moi scotchée à la guitare de Paulo, hypnotisée par la voix d’Amanda. L’instant c’est le soleil qui de l’eau va se refléter vers les feuilles d’un chêne amoureusement penché sur la berge d’un lac. Je ne réussis à sortir de l’état d’hébétude dans lequel je patauge des heures durant que pour m’organiser de nouveaux instants (et diable, je crois bien n’avoir jamais été aussi efficace de ma vie). Il faudrait bien tout de même que je m’attelle à des taches plus constructives. Cela m’est impossible. L’instant est mon seul temps, il est devenu ma prison.

Et déjà la danse se masque, déjà les vacances s’éloignent, mes instants se font rares et je ne sais plus où je vais pouvoir m’extraire du présent.

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