J’ai une confession à vous faire. Il m’arrive de préférer le spritz au chocolat chaud, à l’heure du goûter. Un début d’alcoolisme, peut-être ? Que nenni. Simplement, je ne digère pas très bien le chocolat chaud, et parfois le thé m’ennuie.
Et de la même façon que j’aime le spritz à l’heure des boudoirs, des crêpes ou du pain au chocolat, je préfère la liberté des soirées qui restent à imaginer à la sécurité d’une saucisse-purée. D’un côté les amours splendides, le frou-frou des étoiles, le vin de vigueur, et de l’autre… Eh bien, une saucisse-purée.
Longtemps j’ai cru que l’humanité était divisée en deux catégories. Les femmes, qui ne pensaient qu’à plonger dans la saucisse-purée, et les hommes, qui ne pensaient qu’à la fuir, comme ils auraient fui une peste bubonique. Bien que très clairement née avec des gonades femelles, je me suis toujours rangée dans la deuxième catégorie, celle qui préférait la liberté à la saucisse-purée. Deux décennies se sont ainsi écoulées, à battre le pavé, à arpenter les musées, à boycotter le thé, à danser sous les cieux étoilés avec mes compagnons aux poches crevées.
Et puis, je ne sais pas très bien ce que s’est passé, la quarantaine approchant, mes petits poucets rêveurs ont commencé à être attirés par la saucisse-purée. Etait-ce là le cours normal de l’évolution de leurs papilles gustatives ? Etait-ce l’âge ? Etait-ce l’effet de l’âge sur leurs papilles gustatives ?
Toujours est-il que je ne voyais plus que ça, autour de moi. Des hommes qui voulaient de la saucisse-purée plutôt que des baisers enflammés. « Voilà j’en suis sûr une femme qui cuisine de la délicieuse saucisse-purée. Sans doute la meilleure saucisse-purée à la ronde, à n’en pas douter », semblaient-ils se dire. Je m’étais, à leur yeux, transmuée en grande saucisse en robe de purée.
Alors oui, je comprends, quelque part, dans un coin de mon lobe droit, l’attrait de la saucisse-purée. Les petits visages encore ensommeillés d’après sieste, les brins d’herbe collés sur les mignons souliers, les jeux de société, l’écossage des petits pois au coin du feu de bois, ce soir c’est saucisse, purée ET petits pois. Je vois bien, tout ça, le premier chapitre de la nouvelle histoire du soir, les angelots endormis, la douce chaleur du foyer.
Je vois, j’entends, mais je continue à préférer la fraîcheur du spritz à l’heure des ombres fantastiques. Et patiemment, j’attends mes nouveaux compagnons de bords de route, les fatigués de la saucisse-purée, ou ceux qui n’auront jamais voulu y goûter.

