Anastasia Mikova a 33 ans. Elle a voyagé dans 24 pays pour recueillir plus de 600 interviews sur trois ans, notamment en Afrique (Burkina, Sénégal, Afrique du Sud, Namibie, Tunisie…), en Asie (Cambodge, Birmanie, Bangladesh, Inde…) mais aussi en Australie, en Russie, au Kazakhstan…
Comment as-tu pu réaliser autant d’interviews ?
Nous partions entre deux et trois semaines par pays, et réalisions 20 à 40 interviews. C’était intense ! Quand on réussissait à en garder deux, trois, maximum quatre pour chaque pays on était contents. Le film projeté dans les salles de cinéma comporte 120 interviews, il y en beaucoup plus sur la plateforme Google dédiée. C’était un crève-cœur de ne pas garder tout ce matériau, c’est pourquoi on a décliné HUMAN sur plusieurs films : on y trouve des interviews approfondies, d’autres qui sont inédites…
Comment avez-vous réussi, malgré tout, à faire un sélection ?
Nous cherchions des gens susceptibles d’incarner une situation, un combat, un état d’esprit… Pendant les interviews, il y avait des moments où on ne comprenait pas ce que disait la personne qu’on avait en face de nous parce que le traducteur n’avait pas encore fait son travail. Mais il se dégageait d’elle quelque chose de tellement fort – de la joie, de la rage, de la tristesse… – qu’on était bouleversés. On savait alors que c’était un moment qui allait rester gravé dans nos souvenirs et sur la pellicule. On transmettait nos sélections à Yann Arths-Bertrand, il lui est arrivé de m’appeler en pleine nuit, de l’autre bout du monde, complètement bouleversé lui aussi. C’est quelqu’un qui fonctionne à l’émotion. On lui reproche de faire dans les bons sentiments, d’exploiter la misère du monde, je peux taffirmer que c’est complètement faux.
L’émotion… C’est pour moi le cœur du film…
C’est bien ça ! On voulait toucher les gens, mais en s’adressant à leurs tripes plutôt qu’à leur cerveau. Etre les yeux dans les yeux avec une personne, plonger dans son intimité, ça pousse forcément à se mettre à sa place l’espace d’un instant. C’est la magie de l’effet miroir. On ne peut pas tricher avec ça, dire « et alors ? ». A moins d’avoir déjà sombré dans le cynisme.
Est-ce que HUMAN est un film qui veut changer le monde ?
En quelque sorte oui ! Yann veut inciter les gens à agir, d’une façon ou d’une autre. Mais si on réussit à faire réfléchir les gens sur eux-mêmes, sur le sens de leur propre vie ce sera déjà énorme. On nous reproche de ne pas proposer de solutions. Mais ce n’est pas notre rôle ! Et il y a autant de solutions que d’être humains sur cette planète : pour l’un ça sera un engagement politique, pour l’autre un engagement associatif, pour un autre encore une façon différente de consommer…
Et toi, as-tu changé ?
Sans aucun doute. En tant que journaliste, j’avais déjà ce besoin de témoigner : j’ai fait des sujets sur les mères porteuses, sur l’immigration… Mais ça ne m’empêchait pas de vivre ma vie. Avec HUMAN par moments, c’était compliqué de revenir chez moi, de retrouver ma vie confortable et paisible. Combien de fois ai-je fondu en larmes pendant les interviews ! Ce n’était pas « pro » du tout ! On a tous partagé des choses très fortes avec ces gens. Quand l’un d’entre eux, un jeune Malien avec lequel nous nous étions particulièrement liés en Sicile, m’a appelé en me disant qu’il était arrivé à Paris et qu’il ne savait pas quoi faire, je ne pouvais pas l’ignorer, c’était devenu impossible. On lui a trouvé un toit puis, avec l’équipe, on a cherché pendant des semaines une solution pour l’aider à voler de ses propres ailes. Et on a fini par y arriver! Depuis HUMAN je réfléchis beaucoup plus à ma façon de vivre. Témoigner c’est bien, c’ est mon travail de journaliste, mais ça ne me suffit plus. Je dois faire plus, en tant qu’être humain. Je ne sais pas encore quoi, ni comment, mais je cherche.