Lettre à ma soeur voilée

Ca fait un moment que je veux t’écrire. Tout le monde parle de toi, je te croise dans la rue, je te salue à certaines réunions de famille, je te lis, je t’écoute et ça provoque tout un remue-ménage à l’intérieur. Alors je me suis dit, vas-y, lance-toi, écris-lui, parle-lui.

Je voulais commencer ma lettre comme ça : « Mon amie, ma sœur ». Mais, ça sonne faux. Tu es ma sœur parce que nous faisons partie de la même famille humaine. Or tu sais ce qu’on dit : on ne choisit pas sa famille. Alors que ses amis, si.

Je sais, c’est pas sympa. D’emblée, comme ça, décider qu’on ne serait pas potes. J’avoue que je me sens un peu nulle. Je laisse ce voile faire écran entre toi et moi. En même temps, c’est toi qui le portes, ce bout de tissu, et sans doute te fiches-tu d’apparaître avenante à mes yeux, comme tu te contrefous de sentir le vent caresser tes cheveux. Pourtant, je t’assure, j’aimerais avoir la même ouverture d’esprit que cette jeune punk. Il faut croire que je ne suis pas assez « no future » dans l’âme…

Peut-être suis-je trop rancunière…

Tu sais, je suis indienne par le sang. Imagine le truc : une enfant qui grandit sur une île, au sein d’ une communauté originaire d’Inde (communauté convertie à l’islam chiite certes, mais indienne avant tout, à l’époque). Y’a plein de couleurs partout, les femmes sont en sari, dieu qu’elles sont belles, ça donne envie de devenir femme à son tour. Les réunions de famille, les mariages sont un enchantement : ça rit, ça chante, ça danse, ça vit, quel bonheur, quels souvenirs ! Et puis un mollah débarque d’on ne sait où, de Tanzanie, du Pakistan… Et puis un autre comme lui, et des tas d’autres encore, les uns après les autres. Il portent la barbe drue et l’air sévère. Il disent qu’il faut plaire à Dieu sans poser de questions et craindre son châtiment. Ils disent « faites-ci » et « ne faites pas ça », et te voilà, voilée, devant moi. Et tu te multiplies, tu te dupliques, à la mosquée, au lycée, tu demandes des dérogations pour ne pas faire de sport, tu veux passer ton permis mais seulement si le moniteur est une monitrice, et tout d’un coup c’est le silence, plus de musique, plus de chants autres que religieux, plus de danse, je m’emmerde à mourir et j’ai peur de ce qu’on devient à cause de toi alors je m’en vais. Je m’en vais recréer mes propres cercles de danse, de rires et de liberté. Cette liberté là ne sent plus l’encens mais la bougie d’intérieur, elle n’a plus le goût du tchai-samossas mais celui du café-croissant. Le moment où tu as déboulé dans ma vie a coïncidé avec la perte de tant de choses qui m’étaient chères, tu comprendras que je t’en veuille.

Evidemment, je ne vais pas pour autant te refuser le droit d’exister telle que tu es. Grâce à toi, la valeur qui m’est la plus chère au monde – plus chère encore que tout ce que j’ai perdu – est la liberté. Comment pourrais-je, dès lors, t’en priver? Porte-le donc, ce voile, tu en as le droit et c’est un droit que je défendrai, tant que tu seras majeure et vaccinée, tant que tu m’autoriseras à voir ton visage, à plonger mon regard dans le tien, et, ce faisant, à accéder à ton humanité. Et toi, dis-moi, s’il me prend l’envie m’installer en Afghanistan, au Pakistan, en Iran, en Palestine, en Syrie ou dans n’importe quel pays à majorité musulmane, d’en demander la nationalité et de l’obtenir, le défendras-tu, mon droit à me balader tête, épaules et jambes nues ? De moi-même je ne me permettrai rien de tel, parce qu’on m’a appris qu’il faut savoir respecter un minimum les us et coutumes des pays dans lesquels on vit, pour quelques années comme pour la vie. Mais vraiment, j’aimerais savoir comment tu réagirais, si jamais…

Je défendrai tes droits, donc, et je t’accepterai telle que tu es, mais ne me demande pas davantage je t’en prie. Parfois tu sembles vouloir provoquer et ça me fait sourire parce que je me dis que tu traverses ta crise d’ado et que ça va passer. Mais d’autres fois tu as l’air de chercher l’assentiment, l’approbation, on sent que comme tout le monde tu as envie qu’on t’aime mais je suis désolée, j’ai beau essayer, je n’y arrive pas, j’oscille juste entre colère, incompréhesion, tristesse et abattement.

Tu affirmes que ton voile est un instrument de liberté. Je me souviens de ce reportage où j’ai en effet appris que dans certains pays, depuis que le voile s’est généralisé, les femmes peuvent enfin sortir de chez elles seules, parler avec un homme en public, faire de longues études. Tant mieux pour elles. Je les encourage à porter ce voile si c’est pour elles le seul moyen de réussir à sortir, à étudier, à flirter, à se marier avec leur amoureux ou à rester célibataire si elles le souhaitent, à occuper des postes à responsabilité, à prendre la place qui leur revient de droit. Je les y encouragerai, oui, en espérant qu’un fois l’égalité atteinte, elles brûleront leur voile comme d’autres avant elles ont brûlé leurs soutiens-gorge. Mais ici ma chérie, je te l’assure, il n’est nul besoin de se couvrir la tête pour accéder à la liberté.

Passons maintenant aux choses sérieuses.

Si tu me dis que tu te voiles parce que c’est ce que veut Allah (sachant qu’à ce sujet les avis divergent) et qu’on ne remet PAS en question ce que dit Allah, je crains que le dialogue soit tout simplement impossible. Tu vois, si j’avais été à la place d’Abraham par exemple, je n’aurais pas obéi à Dieu me demandant de sacrifier mon fils. Je serais d’ailleurs curieuse de savoir ce qui se serait passé si Abraham avait désobéi (y’a un bon scénar là, si jamais quelqu’un est intéressé…). Je ne crois pas en un Dieu qui ordonne et punisse, je crois au questionnement, à la recherche, au doute, au libre arbitre. Et je crois que c’est insulter ton Dieu que ne pas utiliser l’intelligence qu’il t’a donnée pour remettre en question ce qu’ « on » te présente comme étant ses propos (et d’ailleurs, qui est ce « on », hein, une bande de mecs flippés depuis la nuit des temps ? Tiens donc, comme c’est bizarre !).

Si tu me dis que tu te voiles parce qu’Allah te demande d’être modeste, discrète et pudique et qu’en même temps tu t’habilles à la dernière mode islamic chic, avec des couleurs chatoyantes et un maquillage du meilleur effet, laisse-moi rigoler. En te faisant jolie, tu es consciente qu’on va te regarder non ? Et tu vas le gérer comment, ce regard sur toi, avec modestie ? Allons, suffit, plus de maquillage, pas assez modeste, ça, le maquillage. Mais j’y pense, si tu enfilais directement une burqa, tu serais assurée d’être PARFAITEMENT modeste et discrète et pudique comme-il-faut non ? Eh bien alors, qu’attends-tu ? Ah non, c’est juste culturel, c’est pas pour faire ta mijaurée ? Alors là je me tais, au temps pour moi.

Si tu me dis que le port du voile est un acte de résistance face aux diktats de la mode et des magazines qui ne cherchent finalement qu’à te faire consommer, ne t’en fais pas Dolce & Gabbana, Uniqlo, Marks & Spencer et même Rihanna – qui d’habitude est plus recouverte de nudité que de tissu – réussiront à te faire lâcher ta thune, même si tes cheveux sont cachés, même si ton corps est invisible. Demande un peu aux princesses saoudiennes, elles te raconteront. #burqaswag meuf.

Si tu me dis que le voile te protège de la lubricité des hommes, qu’avec lui tu cesses enfin de te sentir traitée comme de la viande, je peux te comprendre, mais je trouve vraiment incompréhensible ta façon de réagir. C’est EUX le problème et c’est TOI qui es obligée de te contraindre ??? Tu trouves ça juste ? On pourrait peut-être imaginer d’autres solutions? Leur imposer le port de lunettes rendant floue toute forme féminine, comme chez les ultraorthodoxes juifs ? Les forcer à se crever les yeux comme eux forcent certaines à se voiler? Et quand bien même, crois-tu vraiment qu’en te soustrayant à leur regard tu te préserves de leur désir ? Allez, tape « femme voilée + sexe » sur google et tu auras ta réponse, ma jolie. Que faire alors ? Les castrer chimiquement ? Les lobotomiser ? Un peu glauque non ? Le genre d’extrémité à laquelle on arrive quand on a totalement perdu foi en l’autre, quand on ne voit plus que « ça » dans ses yeux. Le voile n’est-il pas le plus amer des remèdes à tes maux ? La pire des solutions de facilité ? Sois forte ma belle, bas-toi pour changer le regard des hommes, et ton regard sur eux.. Je sais pas moi, commence une thérapie, milite au sein d’assos anti-sexistes, éduque tes fils à aimer et respecter les femmes. Mais par pitié, n’empêche pas le vent de soulever tes mèches rebelles ni le soleil de caresser tes belles boucles parce que le monde est plein de gros bourrins. C’est leur accorder trop de pouvoir, aux gros bourrins.

Voilà, je crois bien que je t’ai écrit tout ce que j’avais sur le cœur.

Ah, une dernière chose avant de te quitter… L’autre jour je suis tombée sur cette affiche qui m’a fait beaucoup réfléchir.

voile

J’ai compris que j’avais cette tendance à vouloir à tout prix la liberté pour toutes et tous, et que c’était une erreur. La liberté ne s’impose pas, elle se conquiert, c’est une lutte de chaque instant, d’abord et avant tout contre soi-même. Depuis, chaque jour je retourne au combat.  Ca te dit de venir avec moi ?

6 commentaires

  1. Sidika Akbaraly · avril 14, 2016

    merci >

  2. David Desrousseaux · avril 15, 2016

    Passionnant et super bien écrit, comme d’hab 🙂

    Mais que dire des « bonnes sœurs », qui sont voilées elles aussi ? Que dire des prêtres habillés dans des grands sacs de pomme de terre et qui s’interdisent le mariage ? Que dire des Imams qui se laissent pousser une longue barbe drue pas toujours très esthétique ? Que dire de la kippa juive qui symbolise aussi une forme de soumission à un culte ? Ou encore se promener avec une croix – symbole de torture – sur le torse ? Finalement, le voile musulman n’est qu’un élément parmi tant d’autres.
    On a l’œil pointé sur les musulmans, du fait des récents événements (11/09, attentats, guerre du Golfe…). Mais une fervente catholique ou une femme juive qui s’interdit de sortir de chez elle, c’est chiant aussi et ça n’a pas toujours l’esprit très ouvert. Du coup, j’ai tendance à croire que le voile n’y est pas pour grand chose. C’est surtout le diktat de la religion qui obstrue l’esprit.

    • Asha Bottée · avril 15, 2016

      Merci David! Premièrement je différencie les gens qui choisissent d’entrer en religion du citoyen lambda, du coup je pense qu’on ne peut pas analyser ces deux démarches de la même façon. Ensuite, de manière générale, je ne suis pas hyer fan des signes ostentatoires d’appartenance à une religion, mais comme je le dis dans mon post, j’estime que chacun a le droit de faire ce qu’il veut en la matière, tout comme j’ai le droit de critiquer ces personnes. Là où c’est plus compliqué avec le voile, c’est que ça entre frontalement en conflit avec l’idée que je me fais de la liberté et de l’égalité, et de ce que devraient être les rapports hommes-femmes. Les juives othodoxes devant porter une perruque me choquent tout autant, mais si je parle du voile c’est parce que ça me révolte depuis que je suis toute petite, donc bien avant le 11 septembre. Mais au bout du compte, oui, c’est avec les commandements des religions et l’obéissance aveugle à ces commandements que j’ai un problème (cf ce que je dit à propos d’Abraham). Donc je pense qu’on est d’accord 😉

  3. David Desrousseaux · avril 15, 2016

    Puisqu’on est d’accord, fêtons ça autour d’une bonne bière fraîche du Ch’Nooord 🙂

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