Le 15 octobre à eu lieu à Paris et dans tout un tas d’autres villes villes le plus grand « Eye Contact » du Monde, organisé par les Liberators International.
Fidèle à ma réputation d’investigatrice sans peur et sans reproche / de zinzin / de nana en crise de la trente-sixaine / de bobobab (le bibimbab est un plat coréen, la bobobab est une bobo babacool), j’ai décidé d’aller voir sur le terrain ce qu’était, exactement, que cet événement dont j’avais eu vent sur Facebook.
Après quelques tergiversations (tain, fait froid) et complications logistiques dont je vous épargnerai les détails (SOS babysitter bonjouuuur !), direction Répu, où j’arrive sous une pluie naissante. Je n’ai que 30 minutes avant devoir filer à la danse. Je pénètre le périmètre d’expérimentation. Ils sont là, mes amis zinzins, assis en tailleurs sur leurs tapis de sol, deux par deux, les yeux dans les yeux. A quelques mètres la grande ville continue à marcher, à courir, à rouler, à klaxonner, mais ils ont l’air de s’en cogner, comme protégés par une bulle de zenitude sous laquelle le temps semble d’être arrêté. Autour d’eux, les badauds forment une sorte de cordon de sécurité. Les conversations vont bon train, entre amis, inconnus, touristes et parisiens. J’en attrape quelques bribes au vol : la plupart des observateurs sont intrigués, beaucoup trouvent ça bizarre, certains ne comprennent pas du tout. Deux loulous m’interpellent : vous voulez essayer avec nous mamoizelle ? Je réponds ok, les types perdent quelque peu leurs moyens, probablement trop habitués, dans leur quotidien, à se prendre des vents. On discute quelques minutes, c’était que de la gueule, les types ont la frousse en fait. Je continue mon exploration.
J’essaie de comprendre le fonctionnement du truc. En fait le mieux c’est d’attendre qu’un Eye Contact soit terminé, que l’un des protagonistes se lève pour, hop, prendre sa place. Mais j’ose pas, ça me rappelle les boums et le temps dingue que ça me prenait, de demander à un garçon sil voulait bien danser un slow avec moi (ouais parce que quand j’attendais qu’on vienne à moi, je finissais systématiquement transformée en motif de tapisserie, ou plutôt de papier peint).
Je me lance. Mon premier Contact je l’echangerai avec Alice, 25 ans à vue de nez, brune sous bonnet. Mon regard traverse les verres de ses lunettes et va se planter dans le sien. Très vite, je réalise que pour pouvoir regarder ses deux yeux en même temps il faudrait que les miens se disent merde l’un à l’autre, ce qui Dieu merci n’est pas le cas. Et comme je ne peux décemment pas plonger juste dans son œil gauche, ni juste dans son œil droit, je passe de l’un à l’autre, à un rythme que je juge un peu trop frénétique. Et puis y’a ces foutues paupières, que je cligne toutes les trois secondes (insuffisance lacrymale, c’est pas un comble pour une nana qui chiale à la moindre occasion ?). Dans mon cerveau ça part dans tous les sens : c’est bizarre je ressens rien de spécial c’est comme si ses yeux étaient opaquesmerdeelledoitsedirequejeclignedesyeuxcommeunefollemaisaufaitc’estquandqu’onestsensésarrêterbonsangj’aiundemisourirebloquésurleslèvresellevapenserquejeme prendspourBouddharhâj’aienviedememarrermaintenant !
Ce que je finis par faire, mais je m’arrange pour que ça ressemble plus à un grand sourire de clôture qu’à un ricanement nerveux. Je remercie Alice, et pars à la recherche de mon 2e co-cobaye.
C’est Julien, il doit avoir moins de 25 ans, et là tout de suite, je suis dans un autre délire. Je me surprends à lâcher deux-trois énormes expirations de détente, j’ai toujours ce fichu demi-sourire aux lèvres mais je m’en tape, je ressens quelque chose de doux, je regarde Julien dans les yeux et j’ai l’impression d’être face à un enfant. C’est ça, je plonge dans l’âme d’un enfant.
Quand ça s’arrête, c’est une évidence, faut qu’on parle : quel âge tu as qu’est-ce que tu fais qu’est-ce que ça t’a fait comment t’as entendu parler du truc t’en as fait beaucoup, ah mais tu danses toi aussi ah mais t’étais aussi à la Gatsby Night han mais attends on s’échange nos adresses facebook !
Je le quitte à contre-cœur, je serais bien restée là à taper le bout de gras avec lui, dehors il fait froid mais sous la bulle il fait bon, je sais que j’ai lâché un truc, j’ai lâché prise comme on dit chez les zinzins bobobab, et je kiffe. J’aimerais rester, j’aimerais rester et rencontrer plein d’inconnu(e)s, plein de frères et sœurs humains.
Le slogan du Eye Contact c’est « where has the human connection gone ? ». La réponse est évidente, la connexion entre nous n’a pas disparu, il faut juste la réactiver et pour ça on n’a pas besoin de grand chose, juste partager un moment, un regard, plonger dans les yeux de l’Autre, dans ces mêmes yeux qu’a filmé Yann-Arhtus Bertand dans HUMAN, ces yeux à travers lesquels passe ce qui nous relie les uns aux autres : les émotions.
C’est sûr, je serai du prochain Eye Contact Experiment. C’est un trip bizarre, absurde ? Peut-être, mais je n’ai rien contre le bizarre ni l’absurde. Ca semble forcé, artificiel ? Ca l’est au début. Comme toujours quand on sort de sa zone de confort. C’est trop « peace and love » ? Bah, quand je regarde autour de moi, que j’écoute ou que je lis les infos deux minutes, je me dis qu’en ce moment peace and love c’est pas si mal que ça comme programme, non ?